Conte folklorique roumain rapporté à la fin du dix-neuvième siècle par Petre Ispirescu, éditeur, folkloriste, imprimeur et publiciste roumain
Traduction en français par Sylvain Audet-Găinar
Illustrations par Aristide Audet-Găinar
Il était une fois un empereur et sa femme, tous deux jeunes et beaux, désirant fort avoir un enfant. Ils ne laissèrent pas de faire maintes fois tout ce qu’ils devaient faire pour cela et se rendirent même chez des sorciers et des augures capables de leur dire s’ils parviendraient un jour à avoir un héritier. Tous leurs efforts furent cependant en vain.
Un jour, l’empereur entendit parler d’un vieux sage qui habitait dans un village voisin et l’envoya quérir. Le vieillard lui fit alors répondre que ceux qui souhaitaient le voir n’avaient qu’à venir à lui. L’empereur, sa femme et toute leur suite se mirent donc en route pour l’aller rencontrer. Dès qu’il les vit approcher, le vieil homme sortit de son logis et leur dit ces paroles :

— Bienvenue à vous ! Que viens-tu chercher à apprendre chez moi, empereur ? Ton désir ne t’apportera que tristesse.
— Je ne suis point venu ici pour découvrir cela, lui répondit l’empereur. Mais pour te demander conseils afin d’avoir un enfant.
— Je t’en peux donner, lui répliqua le sage. Vous n’aurez cependant qu’un seul descendant et son esprit et sa personne seront si beaux qu’on l’appellera Prince Charmant. Il ne restera, hélas ! guère auprès de vous.
Une fois les conseils entendus, l’empereur et sa femme rentrèrent chez eux le cœur plein d’allégresse et à quelque temps de là, l’impératrice demeura grosse. Tout l’empire en fut transporté de joie. Quelques jours avant sa naissance, l’enfant se prit pourtant à pleurer et nul sorcier ne parvint à l’apaiser. Quelque promesse que lui fît l’empereur, rien ne parvenait à consoler l’enfant.
— Par pitié, cesse de gémir, mon petit ! lui ordonna son père. Je t’offrirai n’importe quel empire et bien d’autres territoires encore. Par pitié, ne pleure plus, mon fils ! Je t’accorderai n’importe quelle épouse, fille d’empereur, et tant d’autres plaisirs encore.
Voyant cependant qu’aucun de ses serments ne parvenait à contenter son fils, il ajouta :
— Pour que tu sèches tes larmes mon enfant, je te donnerai la jeunesse infinie et la vie éternelle.
Aussitôt l’enfant cessa de pleurer et naquit.
Tous les serviteurs sortirent sans balancer tambours et trompettes et l’empire tout entier vibra d’un bonheur indescriptible pendant une longue semaine.

Plus l’enfant grandissait, plus il devenait vaillant et intelligent. On lui fit venir les plus grands professeurs et philosophes, et tout le savoir que les autres enfants apprennent en un an, il les apprenait en un mois sous le regard admiratif de son père. Tout l’empire se réjouissait à l’idée d’avoir un monarque aussi sage et savant que Salomon lui-même.
Depuis un certain temps toutefois, le jeune garçon était devenu songeur, triste et préoccupé. Jusqu’au jour où, alors qu’il fêtait son quinzième anniversaire et se trouvait à table avec son père en compagnie de courtisans et de serviteurs venus le célébrer, le Prince Charmant se leva et dit tout haut ces paroles :
— Père, le temps est venu de me donner ce que vous m’avez promis à ma naissance.
En entendant cela, l’empereur devint sombre et répondit :
— Comment, mon fils, pourrais-je t’accorder une chose aussi impossible ? Ce que je t’ai alors promis n’était qu’une façon de te rendre heureux.
— Si toi, mon père, tu ne peux tenir parole, je me dois par conséquent de parcourir le monde jusqu’à ce que je vienne à bout du dessein pour lequel je suis né.
La cour et l’empereur tombèrent alors à genoux et le supplièrent de ne point quitter l’empire, en lui tenant ce langage :
— Ton père est désormais âgé et nous te porterons bientôt sur le trône. Nous t’apporterons alors diligemment la plus belle épouse dont tu puisses rêver.
Rien ne le fit toutefois changer d’avis. Le jeune homme demeurait inflexible. Voyant son fils si opiniâtre, l’empereur finit par accepter et l’aida même à préparer son long périple.
Le Prince Charmant se rendit dans les écuries où se trouvaient les plus beaux étalons de tout l’empire afin d’en choisir un. Il mit la main sur chacun et à chaque fois qu’il leur tirait la queue, les destriers s’effondraient. Au moment où il s’apprêtait à renoncer, il jeta un dernier coup d’œil derrière lui et aperçut dans un coin un cheval en bien piteux état. Il se rendit droit vers lui. Sitôt que le jeune homme posa sa main sur sa croupe, le vieux cheval releva la tête et lui dit :

— Je suis à tes ordres, maître ! Et je remercie le Seigneur qu’un preux chevalier comme toi m’ait accordé son attention.
Le vieux canasson se redressa alors sur ses pattes, pareil à un fier étalon. Une fois que le Prince Charmant lui expliqua ce qu’il avait l’intention de faire, le cheval lui dit :
— Si tu veux réussir, tu dois prier ton père de te donner son armure, sa lance, son arc, son carquois rempli de flèches et les vêtements dont il se parait alors qu’il était jeune homme. En ce qui me concerne, tu devras t’occuper de moi pendant six semaines et me nourrir uniquement d’orge bouilli dans du lait.
Lorsque le Prince requit son père de lui remettre tout ce que le cheval lui avait demandé, l’empereur appela son chambellan et lui ordonna d’ouvrir tous les coffres du château afin que son fils puisse disposer de tout ce dont il aurait besoin.
Il se passa ainsi trois jours et trois nuits avant que le Prince Charmant ne trouve, au fond d’un vieux coffre, les vieilles armes et vieux habits de son père. Hélas ! tous étaient, dans un état pitoyable. De sa propre main, le Prince nettoya les armes de leur rouille, en sorte qu’au bout de six semaines, elles brillaient pareilles à des miroirs. Cependant, il soigna le cheval tel que celui-ci le lui avait demandé et malgré tout ce travail ne s’en désespéra point.
Entendant de la bouche du Prince que les vêtements et les armes étaient propres et prêtes, le cheval se secoua sur-le-champ et toutes les pustules et croûtes dont sa robe était couverte tombèrent, redevenant tel que sa mère l’avait enfanté, cheval solide, fier et paré de quatre ailes. Dès qu’il le vit ainsi, le Prince Charmant lui dit :
— Dans trois jours, nous nous mettrons en campagne.
— À vos ordres, maître ! Je suis prêt dès à présent si tu le commandes, lui répondit le superbe étalon.

Au troisième matin, toute la cour et l’empire était en larmes. Le Prince Charmant, vêtu de sa superbe tenue de chevalier, lance en main et droit sur ses étriers, prit congé de l’empereur, de l’impératrice et de tous les membres de la cour, du plus important au plus petit, de tous les soldats et de tous les serviteurs, lesquels, larmes aux yeux, le supplièrent une ultime fois de renoncer à ce voyage qui risquait de mettre sa vie en péril. Le jeune homme cependant, d’un coup d’éperon, quitta le palais à la vitesse du vent, aussitôt suivi par une cohorte de chariots remplis de provisions, d’argent, ainsi que par deux cents soldats auxquels l’empereur avait donné ordre d’accompagner son fils.
Une fois parvenu au-delà des frontières de l’empire, le Prince distribua tous ses biens aux soldats, les remercia et les renvoya chez son père, ne gardant pour lui que ce que son cheval était en état de porter. Puis, se dirigeant droit vers l’horizon d’où surgit chaque matin le soleil, il alla trois jours et trois nuits jusqu’à ce qu’il parvint au milieu d’une vaste plaine, couverte d’ossements humains. Alors qu’il s’apprêtait à prendre un peu de repos, son cheval lui dit :
— Nous sommes ici, maître, sur le territoire de Furie, une créature si grande et si méchante que personne ne pénètre dans son domaine sans y périr. Elle fut un jour une femme comme une autre, mais ses parents la maudirent car elle ne les écoutait jamais et leur fit endurer bien des soucis. De sorte qu’elle est devenue Furie. En ce moment, elle est avec ses enfants, mais demain, dans la forêt que tu aperçois, elle viendra à notre rencontre pour te massacrer. Sois toutefois sans crainte. Et tiens-toi prêt à sortir ton arc et tes flèches, tout en prenant soin de garder à portée de main ton épée et ta lance.
Les deux compagnons se reposèrent alors, menant la garde tour à tour. Le lendemain, tandis que l’aube paraissait, ils se préparèrent à traverser la forêt. Le Prince Charmant monta sur son cheval, resserrant les sangles plus fort que jamais, et s’élança lorsqu’un bruit terrifiant retentit. Sa monture lui dit alors :
— Tiens-toi solidement, maître ! Voici Furie !
Tout en s’approchant d’eux, elle abattait nombre d’arbres tant elle venait avec fureur. Le cheval s’éleva alors pareil au zéphyr jusqu’à parvenir au-dessus d’elle et le Prince Charmant d’une flèche bien placée amputa ce monstre d’une jambe. Tandis qu’il se préparait à lui décocher une seconde flèche, elle se mit à le supplier :

— Pitié, Prince Charmant ! Je ne te ferai aucun mal.
Voyant qu’il ne lui accordait foi, elle poursuivit :
— Remercie avant tout ton cheval ! Sans lui, je te dévorais tout cru. Mais tu as finalement eu le dessus. Aucun mortel n’avait jusqu’à présent oser s’enfoncer aussi loin dans mon domaine. Les quelques fous ayant tenté leur chance ne sont jamais arrivés plus loin que la plaine où tu as aperçu leurs ossements.
Ils se rendirent tous trois chez Furie qui reçut le Prince avec force courtoisie. Tandis qu’ils se tenaient à table et festoyaient, Furie se prit à gémir de douleur. Le Prince sortit sa jambe qu’il avait enfouie dans sa gibecière, la lui rendit et la guérit aussi parfaitement que si elle n’avait jamais été blessée. Remplie de reconnaissance, Furie tint fête trois jours d’affilée et pria le Prince de choisir épouse parmi ses trois filles, toutes aussi belles que des fées. Le jeune homme refusa et lui révéla sans détour ce qu’il cherchait. Furie lui dit alors :
— Avec le cheval que tu as et ton remarquable courage, tu y parviendras.
Trois jours plus tard, les deux compagnons repartirent. Ils marchèrent plusieurs jours jusqu’à parvenir dans une vaste plaine. D’un côté l’herbe était verdoyante, de l’autre complètement brûlée par le soleil. Le jeune homme demanda à son cheval :
— Pourquoi cette partie du champ est-elle calcinée au dernier point ?
Le cheval lui répondit :
— Nous sommes ici sur le domaine de Scorpion, la sœur de Furie. Elles sont toutes deux si mauvaises qu’elles ne peuvent vivre au même endroit. Comme sa sœur, elle a été maudite par ses parents et est devenue aussi féroce. Elles sont si jalouses entre elles que chacune veut sans cesse s’emparer du territoire de l’autre. Lorsque Scorpion est en colère, elle déverse des litres de lave et de feu. On voit ici qu’elle s’est disputé avec sa sœur et que venue la narguer sur son territoire, elle a brûlé l’herbe où elle est passée. Elle est encore plus cruelle que Furie et a trois têtes. Reposons-nous un peu, maître, et demain matin à la première heure, tenons-nous prêt à l’affronter.
Le lendemain, ils repartirent jusqu’à ce qu’un hurlement inouï les arrêtât.
— Soyez prêt, mon maître, car voici la monstrueuse créature !

Scorpion, avec ses trois gueules ouvertes et remplies de flammes, s’approchait d’eux promptement. Le cheval s’élança haut dans le ciel, pareil à une flèche, et se plaça au-dessus de cette chimère. Le Prince lança une flèche et trancha l’une de ses têtes. Cependant qu’il se préparait à lui en couper une autre, Scorpion le supplia de l’épargner et lui jura de ne lui plus faire aucun mal. Elle reçut chez elle le Prince et son destrier avec d’encore plus grandes cérémonies que sa sœur. Le jeune homme lui rendit également sa tête qui se recolla aussitôt à son cou, et trois jours plus tard, les deux compagnons repartaient.
Ils traversèrent le territoire de Scorpion et poursuivirent longtemps leur chemin jusqu’à un champ fleuri où régnait un printemps éternel. Chaque fleur resplendissait et emplissait l’air d’un parfum délicat et enivrant. Une douce bise caressait tendrement les deux voyageurs. Ils décidèrent de faire halte et de se reposer puis le cheval déclara :
— Notre chemin jusqu’à présent n’a guère été aisé mais une nouvelle épreuve nous attend. Une terrible épreuve ! Avec l’aide de Dieu, nous nous en sortirons peut-être et pourrons alors achever notre périple. Devant nous se tient le palais où nous trouverons la jeunesse infinie et la vie éternelle. Ce château est entouré d’une forêt dense et haute qui abritent les bêtes les plus féroces au monde. Nuit et jour, elles gardent sans trêve le château et sont fort nombreuses. Nous n’avons aucune chance de les vaincre. Et tant qu’elles vivront, il nous sera impossible de traverser cette forêt. C’est pourquoi nous la franchirons par les airs.

Après deux jours de repos, ils repartirent. Le cheval, retenant son souffle, dit :
— Serre mes sangles autant que tu le pourras, cher maître, et en me chevauchant, colle bien tes jambes contre ma croupe afin de ne pas gêner mon vol.
Il s’éleva alors, éprouva les efforts de son jeune cavalier puis s’approcha de la forêt.
— Maître ! s’exclama le cheval. Nous avons de la chance. Les bêtes féroces sont actuellement en train d’être nourries au château. Allons-y !
— Allons-y ! répéta le Prince. Et que Dieu soit avec nous !
Ils s’élevèrent haut dans les cieux et aperçurent bientôt le palais, brillant de mille feux et plus aveuglant que le soleil. Ils passèrent par-dessus la forêt et tandis qu’ils s’apprêtaient à se poser sur les marches du château, le cheval frôla à peine la branche d’un arbre que la nature se mit en mouvement. Les monstres se prirent à pousser des cris abominables. Les deux compagnons se dépêchèrent de redescendre. Si la maîtresse du palais ne s’était point trouvée ici à ce moment-là, occupée à donner à manger à ses petits (ainsi qu’elle nommait ces créatures effrayantes de la forêt), les deux compagnons n’auraient point survécu.

Si heureuse cependant de les voir arriver chez elle (elle n’avait jamais eu l’honneur de recevoir de visiteur jusqu’à présent), elle sauva le chevalier et son coursier des griffes de ses bêtes furieuses, en les arrêtant d’un geste, en les caressant et en les renvoyant dans les bois. La jeune femme était une fée, grande, élancée et fort belle ! À peine la vit-il que le Prince en demeura médusé. De son côté, regardant le hardi jeune homme avec sympathie, elle lui dit :
— Bienvenue, Prince Charmant ! Que viens-tu faire ici ?
— Je cherche, lui répondit-il, la jeunesse infinie et la vie éternelle.
— Si tu cherches ce que tu dis, alors tu le trouveras ici.
Il descendit de son cheval et pénétra dans le château où il rencontra deux autres jeunes femmes. Il s’agissait des sœurs aînées de la première. Il commença par remercier la fée de l’avoir sauvé, puis les trois sœurs préparèrent pour lui le plus délicieux des dîners, servi dans des plats d’or. Le cheval fut autorisé à brouter partout où il le souhaitait. Puis les deux hôtes furent présentés aux monstres afin qu’ils puissent par la suite se promener en toute tranquillité dans la forêt.
Les trois femmes offrirent au Prince d’habiter désormais avec elle, lui disant qu’elles ne supportaient plus de vivre sans autre compagnie. Celui-ci accepta sur-le-champ, heureux d’achever enfin sa quête. Peu à peu, tous devinrent fort bons amis. Le Prince conta aux jeunes femmes son histoire et toutes les aventures qu’il avait traversées avant d’arriver jusqu’à elles. Peu de temps après, il épousa même la plus jeune des trois sœurs.

À leur arrivée dans ce royaume, le jeune homme et son cheval avaient reçu l’autorisation des trois jeunes femmes de se rendre partout où bon leur semblerait, à l’exception d’une vallée, qu’elles prirent la peine de leur montrer et qui s’appelait la Vallée des Lamentations. Si jamais ils venaient à en fouler l’herbe, un grand péril les menacerait !
Les deux compagnons séjournèrent dans ce royaume pendant un temps infini, sans jamais prendre la moindre ride. Le Prince était toujours aussi jeune que le jour où il était arrivé. Il se promenait dans la forêt, l’esprit insouciant, jouissait de son somptueux palais, vivait en paix et en harmonie avec son épouse et ses deux belles-sœurs, profitait de la beauté des fleurs et de la douceur de l’air. Il était un homme comblé. Il se rendait souvent à la chasse jusqu’au jour où en poursuivant un lapin, il lança une flèche puis une deuxième sans parvenir à s’emparer de ce gibier. Contrarié, il se prit à le poursuivre de plus bel, décocha une troisième flèche qui atteignit enfin sa proie. Hélas ! emporté par sa fougue, le pauvre homme ne s’était point rendu compte qu’en chassant cet animal, il était entré dans la Vallée des Lamentations. Il attrapa son butin et rentra chez lui.
Que se passa-t-il dans ce moment ? Il prit au Prince une violente envie de revoir sa mère et son père. Quelque effort qu’il fît pour taire ce désir et n’en point parler aux femmes de la maison, celles-ci se rendirent compte promptement, en le voyant si abattu et affligé, que quelque peine le torturait.

— Ah, malheureux ! Tu t’es rendu dans la Vallée des Lamentations ! s’exclamèrent-elle avec effroi.
— Vous avez raison, mesdames. Mais cela fut bien malgré moi. Et désormais, je suis en peine de mes parents tout en me sentant incapable de vous quitter. Me voici à vos côtés depuis bien des jours et je n’ai aucun motif de me plaindre. C’est pourquoi je vais retourner voir mes parents une dernière fois et me hâter de revenir auprès de vous pour ne plus jamais en repartir.
— Ne t’en va pas, mon amour ! Tes parents ne vivent plus depuis des siècles ! Toi-même en retournant là-bas, tu risques de ne plus pouvoir revenir. Reste avec nous !
Ni les supplications des trois femmes, ni celle de son cheval ne parvinrent nonobstant à détourner le Prince de son désir ardent de revoir ses parents. Son cheval finit par lui dire :
— Puisque tu ne veux pas nous écouter, maître, sache que tu seras le seul responsable de tout ce qui t’arrivera. Je me tiens prêt à t’accompagner sur les terres de ton enfance, mais à une seule condition.
— J’accepte ! lança le Prince se sentant tout de feu. Dis-moi tout !
— Lorsque nous arriverons au palais de ton père, tu descendras de selle et je repartirai aussitôt car tu voudras rester davantage.
— Qu’il en soit ainsi !
Il se prépara au voyage, embrassa les trois femmes et prit la route, les laissant derrière lui en larmes. Il arriva tout d’abord sur le territoire où se trouvait la demeure de Scorpion. À la place, il y trouva une ville et les bois avaient été transformés en champs. Il demanda aux uns et aux autres s’ils connaissaient cet animal fabuleux et où se trouvait désormais son logis mais tous lui répondirent que seuls leurs grands-parents avaient ouï parler leurs arrière-grands-parents d’une telle histoire à dormir debout.

— Comment est-ce possible ? s’étonna le Prince. Je suis passé par ici il y a quelque temps à peine et elle y vivait encore.
Et de leur raconter tout ce qu’il savait. Les habitants rirent de lui comme d’un fou. Le Prince entra dans une colère inconcevable et repartit droit devant lui, sans même se rendre compte que sa barbe et ses cheveux avaient blanchi entre-temps.
En arrivant sur le domaine de Furie, il reposa les mêmes questions et reçut les mêmes réponses. Il ne parvenait pas à comprendre. Quelle surprenante métamorphose ! Comment en si peu de jours tant de choses avaient-elles pu changer ? Au désespoir, il repartit, la barbe désormais blanche et longue jusqu’au ventre et les jambes saisies de tremblements.
Il arriva enfin sur la terre de ses ancêtres. Ici, d’autres gens, d’autres maisons. Il ne reconnut rien. Il parvint toutefois à découvrir le palais dans lequel il était né. Dès qu’il mit pied à terre, son cheval lui dit :
— Adieu, maître ! Je retourne de ce pas d’où nous venons. Si tu souhaites venir avec moi, monte tout de suite en selle et repartons !
— Va sans crainte ! Je serai bientôt de retour.
Le cheval démarra à vive allure. En voyant son palais écroulé et envahi de ronces et de buissons, le Prince soupira et se souvint, les larmes aux yeux, à quel point le château avait été somptueux et son enfance heureuse. Il fit deux ou trois fois le tour des ruines, cherchant dans chaque recoin un souvenir, l’écurie dans laquelle il avait découvert son cheval, puis il descendit dans la cave qui, malgré le temps, ne s’était point effondrée. Recherchant à droite et à gauche, la barbe dorénavant longue jusqu’aux genoux, les paupières lourdes et le pas chancelant, il ne découvrit qu’un vieux trône en bois couvert de poussière. Il l’ouvrit mais n’y trouva rien. Il força ensuite le couvercle d’un petit coffre et une voix faible lui dit alors :
— Bienvenue, Prince ! Tu aurais encore tardé et je rendais l’âme avant toi !
La Mort le toucha alors au visage de sa main sèche et tordue comme un crochet et le Prince Charmant se transforma aussitôt en un tas de poussière.

FIN
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