Entretien avec Andrei Voiculescu, octobre 2020
La première fois que je suis revenu en Roumanie, c’était en juillet 1990, le jour exact de mon anniversaire. Depuis mon départ en exil, je n’y étais jamais revenu. Je n’aurais d’ailleurs pas pu le faire même si je l’avais voulu. Pour moi, ça a été alors un grand choc. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi terrible. Toutes les rues étaient dans le noir, l’éclairage public n’était jamais allumé, volontairement sans doute, afin de tenir encore la population sous contrôle. Le bruit circulait à l’époque que la monarchie allait être réinstaurée, comme bien d’autres informations fantaisistes qui faisaient planer une certaine terreur. Tout était sale et triste. Et je ne reconnaissais plus une grande partie de la ville, surtout ces jolis quartiers pittoresques qui avaient disparus, tel que celui de mon enfance, où les rues étaient alors pleines de tilleuls immenses… Désormais, tout était devenu gris, avec des immeubles immondes en béton et puis cet espèce de château dément que Ceaușescu avait voulu se faire construire, cette cochonnerie de Casa Poporului. Le quartier où j’ai grandi se trouvait justement à côté de cette immondice.

©Copyright by Andrei Voiculescu©
Mais pour en revenir au début des années 1990, tout était primitif en Roumanie. Du point de vue politique, le nouveau régime d’Iliescu continuait à se mettre en place et le slogan de l’époque était „Noi, nu ne vindem ţara” (Notre pays n’est pas à vendre !). Et très vite, je me rappelle, certains avaient fini par ajouter „O prădăm de unii singuri”! (On le pille très bien tous seuls !). C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est produit. Dans tous les cas, il était hors de question pour moi de revenir m’établir tout de suite dans ce pays. En premier lieu parce que j’avais un boulot stable en Allemagne et que la tournure des événements en Roumanie n’annonçait vraiment pas de souriants lendemains. Des élections soi-disant libres ont été organisées et Iliescu avec sa clique a remporté la mise avec plus de 60% des suffrages. Beaucoup de Roumains établis à l’étranger ont tout de suite vu comme moi que ça ne sentait pas bon et n’ont pas voulu revenir. Et puis revenir pour quoi faire ? De la politique ? Certainement pas. Investir dans l’immobilier ? Beaucoup de collègues ont eu cette idée à l’époque et ils en ont tiré pas mal d’argent. Pour ma part, j’ai préféré rester à Munich et continuer à travailler à la radio jusqu’à sa fermeture en 1995.

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Sommaire
Chapitre 1 – Où il est question d’arrestation arbitraire et du barrage de Bicaz
Chapitre 2 – Où il est question d’internat, de tourne-disque et de soirée dansante
Chapitre 3 – Où il est question de tuberculose osseuse et de patinage de vitesse
Chapitre 4 – Où il est question de scooter et de la revue Steaua
Chapitre 5 – Où il est question de Fabrizio de André, du Club A et de Radio Bucarest
Chapitre 6 – Où il est question de Club 33, de Scotch Club, et de Whisky à Gogo
Chapitre 7 – Où il est question d’exil et de galères
Chapitre 8 – Où il est question de Cornel Chiriac et de Radio Free Europe
Chapitre 9 – Où il est question de cartes postales, de « Melogriver » et d’indépendance
Chapitre 10 – Où il est question de transition ratée et d’impossible retour
Chapitre 11 – Où il est question de Munich, de Prague et d’un nouveau départ
Chapitre 12 – Où l’on parle de Radio Bucarest et de permis de travail
Chapitre 13 – Où l’on parle d’édition et d’Harpagon
Chapitre 14 – Où l’on découvre les mélodies favorites d’Andrei Voiculescu