Entretien avec Andrei Voiculescu, octobre 2020
Les Allemands voulaient que Radio Free Europe reste ouverte à Munich et ils ont tout fait pour convaincre les Américains de ne pas la fermer. Ils étaient même prêts à prendre en charge la moitié des coûts de fonctionnement. Mais les Américains ont refusé net. Le bâtiment de la radio avait pourtant été loué par eux aux Allemands pour un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans. Il était d’ailleurs très bien situé dans la ville, juste à côté du célèbre parc de Munich, le Englischer Garten, dans un quartier très calme avec beaucoup de végétation. Mais dans les années 1990, il est devenu clair que Radio Free Europe n’avait plus les faveurs de Washington. Le président américain de l’époque, Bill Clinton, voulait même clairement se débarrasser de nous. Cette radio n’arrangeait pas trop ses négociations avec les Russes qui prétendaient qu’ils avaient désormais instauré la démocratie, que les peuples de l’ancien bloc étaient libres… Bref, d’après eux, Radio Free Europe n’avait plus trop de raisons d’exister.
Le comble a été que, malgré la chute du communisme, nous n’avons jamais eu autant d’auditeurs. Comme plus personne n’avait peur, tout le monde s’est mis à nous écouter au grand jour. Radio Free Europe a même ouvert une agence à Bucarest à ce moment-là et on a même commencé à diffuser nos émissions en direct par satellite à travers tout le pays. La qualité du son était nettement meilleure. Beaucoup de radios privées se sont également mises à voir le jour en Roumanie et à nous proposer de rediffuser certaines de nos émissions. En particulier les miennes. Radio Free Europe s’y est cependant toujours opposée.
À Munich, la situation est rapidement devenue de plus en plus tendue entre la direction et les employés. Pour ma part, j’étais affilié à trois syndicats allemands pour être sûr d’être protégé au maximum du couperet de la direction. Pour faire des économies, l’idée leur était venue de déménager la radio à Prague ! Ils y avaient trouvé un bâtiment en centre-ville qui ne leur coûtait presque rien. Et bien entendu, le salaire qu’ils nous proposaient là-bas était nettement inférieur à ce qu’on gagnait à Munich. Les syndicats m’ont tout de suite dit que si j’acceptais de partir à Prague, je perdrais tous mes droits. Sans parler de la retraite ridicule que je risquais d’avoir en fin de carrière. En Allemagne, j’avais déjà accumulé assez de cotisations pour bénéficier de cinq années de chômage. En République tchèque, je n’avais droit à rien ! Et puis déménager avec une enfant de trois ans à l’époque, apprendre une nouvelle langue (et en plus, quelle langue !),… Pour moi, ça a tout de suite été hors de question.
En 1995, quand ils ont finalement fermé la radio à Munich, on nous a versé quelques indemnités et je me suis retrouvé au chômage. Dès que je me suis présenté au bureau du service de l’emploi, on m’a dit « Monsieur Voiculescu, nous ne pouvons rien faire pour vous. Vous avez plus de cinquante ans et vous êtes surqualifié. » Pour moi, c’était une catastrophe ! Je devais payer un loyer, élever un enfant,… Je leur ai alors dit que j’étais prêt à suivre une formation pour pouvoir travailler dans une radio en tant que technicien. Car même si je parlais bien allemand, je ne maitrisais pas assez cette langue pour animer une émission. En revanche je pouvais très bien travailler du côté technique sans problème. Hélas ! même cela n’a pas été possible. Compte tenu de mon âge, l’État allemand n’acceptait de me payer qu’une seule année de formation alors que celle qui m’intéressait devait durer deux ans. J’ai fini par tenter ma chance à la Deutsche Welle à Cologne, qui est une sorte de réplique de Radio Free Europe financée par l’Allemagne, et je suis parvenu à prendre contact avec un membre du conseil d’administration. Dès qu’il a découvert mon parcours professionnel, cet homme m’a cependant tout de suite dit qu’il ne pouvait pas m’embaucher. Encore une fois, j’étais surqualifié. Il m’a même avoué que son directeur musical et culturel de l’époque qui n’avait que trente-deux ans avait tout simplement blêmi en voyant mon CV et en apprenant que je souhaitais travailler sous sa responsabilité !

©Copyright by Andrei Voiculescu©
Dans tous les cas, cette période a été difficile pour moi. Mes indemnités de chômage ont commencé à diminuer et j’ai fini par me dire qu’il valait mieux quitter l’Allemagne. Au départ, mon ex-femme voulait qu’on aille s’installer à New York. Mais moi, je n’étais pas d’accord. Je ne me voyais pas du tout élever un enfant là-bas. Et déménager au-delà d’un océan à mon âge n’était vraiment pas mon rêve. Alors, j’ai d’abord songé à partir en Italie. Comme je parlais bien la langue, j’aurais pu y travailler sans problème pour une radio. Et puis les écoles de là-bas auraient été parfaites pour notre fille. Finalement, ça ne s’est pas fait et je suis rentré à Bucarest où j’avais la possibilité d’inscrire ma fille dans une très bonne école allemande et où j’avais l’espoir de facilement trouver du travail dans une radio.
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Sommaire
Chapitre 1 – Où il est question d’arrestation arbitraire et du barrage de Bicaz
Chapitre 2 – Où il est question d’internat, de tourne-disque et de soirée dansante
Chapitre 3 – Où il est question de tuberculose osseuse et de patinage de vitesse
Chapitre 4 – Où il est question de scooter et de la revue Steaua
Chapitre 5 – Où il est question de Fabrizio de André, du Club A et de Radio Bucarest
Chapitre 6 – Où il est question de Club 33, de Scotch Club, et de Whisky à Gogo
Chapitre 7 – Où il est question d’exil et de galères
Chapitre 8 – Où il est question de Cornel Chiriac et de Radio Free Europe
Chapitre 9 – Où il est question de cartes postales, de « Melogriver » et d’indépendance
Chapitre 10 – Où il est question de transition ratée et d’impossible retour
Chapitre 11 – Où il est question de Munich, de Prague et d’un nouveau départ
Chapitre 12 – Où l’on parle de Radio Bucarest et de permis de travail
Chapitre 13 – Où l’on parle d’édition et d’Harpagon
Chapitre 14 – Où l’on découvre les mélodies favorites d’Andrei Voiculescu