Entretien avec Andrei Voiculescu, octobre 2020
À mon retour à Bucarest, en 2000, j’ai retrouvé un vieil ami de lycée qui était devenu entretemps un acteur célèbre et surtout le directeur d’un département de Radio Bucarest. Il s’appelait Florian Pittiș et il m’a aussitôt proposé de collaborer avec eux. « Tu as déjà travaillé ici pendant trois ans avant de partir en exil. Cela me paraît logique que tu reviennes ! ». Sauf que lorsque je suis arrivé sur place, les autres ont plutôt fait la gueule et il s’est passé exactement la même chose qu’en Allemagne. Tout le monde était convaincu que j’étais revenu pour devenir le grand patron. Alors que moi, je m’en fichais complètement.

Dans la grille des programmes, on m’a alors accordé deux fois deux heures par semaine. Ce n’était pas énorme mais ça me suffisait. Tout ce qui comptait pour moi était avant tout de revenir dans l’attention du public. Parce que je ne voulais pas travailler exclusivement pour Radio Bucarest. Je voulais bien travailler chez eux en tant que collaborateur mais je voulais aussi développer d’autres projets à côté, sur des radios privées entre autres. D’autant plus que le salaire qu’ils me proposaient n’était pas mirobolant : quatre-vingt dollars par mois ! Je me souviens qu’ils m’ont tout de suite proposé 175% de « bonus de notoriété » pour compenser. Ça m’avait bien fait marrer ! De toute façon, étant donné qu’entretemps j’avais réussi à toucher ma retraite d’Allemagne, je n’avais pas besoin d’un gros salaire. Ce qui était le plus important pour moi était de trouver une activité qui me permettait de me réintégrer dans une société où j’étais apprécié. J’ai donc accepté ce contrat. Sauf que je n’étais pas encore au bout de mes peines !
Au moment de la signature, une fille de la comptabilité m’a demandé une pièce d’identité et tandis que je lui tendais ma carte allemande, elle m’a dit : « Non, non, monsieur Voiculescu. J’ai besoin de votre carte d’identité roumaine ! » . « Désolé mademoiselle, mais je n’ai plus la nationalité roumaine depuis belle lurette ! » Du coup, très embêtée, elle m’a alors expliqué qu’avant de pouvoir signer ce contrat, je devais demander, en tant qu’étranger, un permis de travail à l’État roumain ! Même si je trouvais ça complètement aberrant, j’ai commencé à faire les démarches et j’ai même fini par rencontrer le directeur du service en question auquel j’ai expliqué la situation. Celui-ci m’a alors tout de suite demandé si je n’étais pas fou. « Je ne sais pas quel salaire ils vous ont proposé à Radio Bucarest mais pour obtenir un permis de travail, vous devez payer trois cent cinquante dollars. » J’ai cru au départ qu’il voulait se mettre cet argent dans la poche. « Non, non, monsieur Voiculescu. Comprenons-nous bien ! Vous devez payer cette somme à la Caisse d’Épargne et d’Économie et nous apporter ensuite la preuve de ce paiement pour que vous puissiez déposer votre demande de permis de travail. » « D’accord! J’y vais de ce pas. » « Attendez, monsieur Voiculescu ! ajouta-t-il alors. Je n’ai pas terminé. Une fois cette première somme versée, vous devrez ensuite payer chaque trimestre cent cinquante-six dollars, toujours à la Caisse d’Épargne et d’Économie, afin que je puisse tamponner votre permis de travail et en assurer la validité. Êtes-vous, dans ces conditions-là, vraiment toujours sûr de vouloir obtenir ce permis de travail ? Parce que d’après moi, cette affaire risque de ne pas être très rentable pour vous. » Et il avait raison. Tout cela allait me coûter une fortune pour gagner des clopinettes. J’ai donc laissé tomber et décidé de prendre définitivement ma retraite !
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Sommaire
Chapitre 1 – Où il est question d’arrestation arbitraire et du barrage de Bicaz
Chapitre 2 – Où il est question d’internat, de tourne-disque et de soirée dansante
Chapitre 3 – Où il est question de tuberculose osseuse et de patinage de vitesse
Chapitre 4 – Où il est question de scooter et de la revue Steaua
Chapitre 5 – Où il est question de Fabrizio de André, du Club A et de Radio Bucarest
Chapitre 6 – Où il est question de Club 33, de Scotch Club, et de Whisky à Gogo
Chapitre 7 – Où il est question d’exil et de galères
Chapitre 8 – Où il est question de Cornel Chiriac et de Radio Free Europe
Chapitre 9 – Où il est question de cartes postales, de « Melogriver » et d’indépendance
Chapitre 10 – Où il est question de transition ratée et d’impossible retour
Chapitre 11 – Où il est question de Munich, de Prague et d’un nouveau départ
Chapitre 12 – Où l’on parle de Radio Bucarest et de permis de travail
Chapitre 13 – Où l’on parle d’édition et d’Harpagon
Chapitre 14 – Où l’on découvre les mélodies favorites d’Andrei Voiculescu