Chapitre 1 – Où il est question d’arrestation arbitraire et du barrage de Bicaz

Entretien avec Andrei Voiculescu, octobre 2020

Mon grand-père, Vasile Voiculescu, a été arrêté la nuit du 5 août 1958. À une heure du matin, ils ont débarqué chez nous et ils y sont restés pendant près de quatre heures. Aujourd’hui, je suis le seul témoin encore en vie de cette scène. C’était terrible ! Ils étaient habillés comme à l’époque de la Gestapo avec de grandes gabardines et ils ont tout mis sens dessus-dessous. Après cela, la maison a été confisquée et tout ce qui appartenait à mon grand-père a été emporté. En particulier ce qui se trouvait dans sa chambre qui était aussi son bureau : manuscrits, livres,… Il y avait là une bibliothèque énorme. Les quatre murs étaient recouverts d’ouvrages jusqu’au plafond ! Même son poêle était rempli de livres ! Ils ont tout pris. Jusqu’aux meubles de la maison. Ensuite, ils l’ont condamné à cinq ans de prison et à cinq ans supplémentaires de privation de droits civiques. Il avait soixante-quatorze ans à l’époque. Finalement, il a obtenu une remise de peine et a été libéré le 24 avril 1962. À force d’avoir été battu par les gardiens, il était très malade. Dans cette dernière période d’incarcération, la plus longue, il avait été enfermé dans la prison d’Aiud, l’une des plus rudes du pays.

Vasile Voiculescu

Après l’arrestation de mon grand-père en 1958, la Securitate est venue voir mon père pour lui dire que je n’avais plus rien à faire à l’école. J’avais treize ans et j’étais devenu le « petit-fils d’un ennemi du peuple ». Parce que Vasile Voiculescu avait été reconnu coupable de haute trahison. Mon père était désespéré. Cette année-là, je devais entrer en septième et passer à la fin un examen pour pouvoir entrer au lycée. La seule solution que mon père a alors trouvé a été de m’inscrire dans une école d’horticulture près de Brașov. Mais ma mère (mes parents avaient divorcé alors que j’avais six ans) vivait désormais avec un homme important, un ingénieur. Ils habitaient près de Bicaz, là où les communistes construisaient à cette époque une énorme centrale hydroélectrique. Ce type y était ingénieur-chef et avait de grandes responsabilités. C’est lui qui contrôlait la qualité du béton.

Barrage de Bicaz, Roumanie, pendant sa construction

Tout ça pour dire que c’est finalement là que j’ai été envoyé pour poursuivre ma scolarité. Il s’agissait d’un chantier de construction avec plusieurs milliers de travailleurs qui vivaient dans un camp de travail, avec des cabanes en bois, le tout assez primitif. Ce n’était pas un camp de travail forcé, entendons-nous bien. Les travailleurs étaient payés. Nous, nous habitions cependant à cinq kilomètres de ce camp de travail dans lequel se trouvait aussi l’école. Tous les matins, je devais donc me lever tôt pour y aller. Heureusement, ils passaient devant chez nous quantité de camions qui apportaient du ciment et du sable pour le barrage. Je trouvais ainsi toujours un chauffeur prêt à embarquer le « fils de monsieur l’ingénieur » et à me laisser devant l’école. Ça, c’était le côté positif, tout comme le fait que la maison où nous habitions était près d’une forêt où j’allais me promener souvent. Pour le reste, ça n’était franchement pas le rêve. D’autant plus que mon beau-père était plutôt du genre brutal. Et puis, je n’avais pas vraiment d’amis dans ce village d’ingénieurs. Mes amis à moi étaient à l’école.

Barrage de Bicaz, Roumanie

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Sommaire

Introduction

Chapitre 1 – Où il est question d’arrestation arbitraire et du barrage de Bicaz

Chapitre 2 – Où il est question d’internat, de tourne-disque et de soirée dansante

Chapitre 3 – Où il est question de tuberculose osseuse et de patinage de vitesse

Chapitre 4 – Où il est question de scooter et de la revue Steaua

Chapitre 5 – Où il est question de Fabrizio de André, du Club A et de Radio Bucarest

Chapitre 6 – Où il est question de Club 33, de Scotch Club, et de Whisky à Gogo

Chapitre 7 – Où il est question d’exil et de galères

Chapitre 8 – Où il est question de Cornel Chiriac et de Radio Free Europe

Chapitre 9 – Où il est question de cartes postales, de « Melogriver » et d’indépendance

Chapitre 10 – Où il est question de transition ratée et d’impossible retour

Chapitre 11 – Où il est question de Munich, de Prague et d’un nouveau départ

Chapitre 12 – Où l’on parle de Radio Bucarest et de permis de travail

Chapitre 13 – Où l’on parle d’édition et d’Harpagon

Chapitre 14 – Où l’on découvre les mélodies favorites d’Andrei Voiculescu

Publié par sylvaudetgainar

Sylvain Audet-Găinar est né en 1980 et a fait des études de Lettres à Lyon, à Strasbourg et à Bucarest. Fasciné par la Roumanie, il y a vécu et enseigné le français pendant de longues années. Il a également été le traducteur de plusieurs polars roumains, avant de se lancer aujourd’hui dans l’écriture de ses propres romans.

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